ce qui n'aura pas pâli

Maculer la page blanche. Non pas y déposer ces quelques signes qui forment des mots mais l'attaquer à l'arme noire. Laisser l'encre se révolter. Ne pas tenter de la réfréner. Lacérer toutes ces images qui viennent à moi pour ne pas en surcharger ma page. Tous ces bouts de poèmes, engrangés dans ces blocs sténo que j'ai aménagés en ateliers avec vue hypothétique sur la poésie. Ne rien recopier à l'ordinateur. Les laisser en pleine lumière pour ne garder que ce qui n'aura pas pali. Je voulais écrire un livre sur l'Irlande. La lecture de "intermédiaires irlandais" de Jean-Pascal Dubost m'en a dégoûté. Jamais je ne ferai aussi bien. Le coup de grâce m'a été asséné par Paul Louis Rossi avec ses "variations légendaires". Autant de culture, d'érudition me ramène à mes insuffisances que je ne parviens pas à surmonter. Je ne suis appelé qu'à un destin poussiéreux, il faudra me rendre à l'évidence. L'amertume est le marque-page de mes jours et les livres dévorés ne font que creuser le fossé. Ma prière est bien aride. Enlever cette couverture d'acier sur ma modestie – manque d'ambition? – Terminer la dizaine de recueils à peine commencés et perdus dans l'électronique labyrinthique de mon ordinateur. S'approcher des doutes et y mettre flamme. Pour qu'enfin un éditeur vienne y trouver la poignée de feu qu'il cherche pour se réchauffer lui-même. Je ne suis pas certain de pouvoir, mais le suis-je de vouloir ? Je n'arpente que des chemins aux graviers arides. A force de ne traquer que les ombres entraillées, je finis par ne plus me rendre compte du précipice que je m'impose. Il n'y a pas lieu en soi de plus secret que le précipice. Alors, même si je sais que reculer n'avance à rien, me rentrer dans ma tanière. Fuir les autres poètes pour ne pas m'enfoncer encore plus. Quitte à perdre leur amitié – mais quelle amitié? – et m'enfoncer encore plus. Maculer mes jours de questions pour avoir à y répondre sans fuites mensongères. Semer le noir sans doute. Mais je préfère le noir au blafard, au pâli, au sale. En espérant qu'après ces semailles intérieures viendront les moissons extérieures… et que le jour se lèvera enfin d'une façon poème.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

mon premier ouvrage grâce à Yves Perrine

un pays